Fondation de Raguse :
D'après la tradition, la ville de Raguse fut fondée au
début du VII siècle lors de l'invasion slave sur la côte
adriatique des balkans. Celle ci fut édifiée sur des rochers
par la population latine d'origine romaine pour s'y réfugier. Il
semble aussi qu'une agglomération se forma près de Raguse
regroupant les populations slaves qui l'appelèrent Dubrava Ce nom
slave rappelait la grande forêt qui poussait à l'origine sur
les lieux. On trouve là l'origine du nom de la ville Dubrovnik,
en opposition au nom latin de Raguse provenant des populations de souche
romaine.
Raguse sous domination byzantine :
La ville à ses débuts eut toujours de fortes relations
avec Byzance, cette dernière cherchant toujours à garder
son influence et son autorité sur la ville. Il faut dire que la
position géographique de Raguse en faisait une étape obligée
entre l'empire byzantin et l'europe, en particulier l'Italie. Venise, la
puissance maritime par excellence, compris l'importance de posséder
des ports sur la côte orientale de l'adriatique. Ainsi, vers l'an
1000, Venise occupe la Dalmatie et tente de prendre le contrôle de
Raguse. Mais la ville revient rapidement sous la coupe de Byzance. Suite
à l'affaiblissement de l'empire d'orient dès le XI siècle,
Raguse est conduite à acquérir peu à peu son indépendance
politique (apparition d'une noblesse de souche romaine) et à se
développer. C'est ainsi de cette époque que date la première
augmentation notable de la population slave de Raguse attirée par
l'activité commerçante de celle-ci.. Le XII siècle
fut une période agitée pour la ville qui dut se défendre
des attaques des royaumes bosniaque et serbe cherchant à en prendre
le contrôle. Mais c'est finalement la flotte de Venise qui partit
combattre Byzance qui enleva la ville en 1171. Cette occupation fut brève
mais montre un trait de tout temps propre à Raguse: la ville ne
pouvait se défendre seule et devait toujours chercher la protection
d'une puissance (Byzance, le roi de Sicile, les normands, Venise, les hongrois,...
selon les époques). Ces événements n'empêcha
pas le développement économique de la ville de se poursuivre. De
nombreux traités maritimes furent conclus avec des villes italiennes:
notons
particulièrement celui avec la ville de Termoli (voir
carte de Molise) en 1203 qui est le port de la région de Molise.
Néanmoins Raguse ne pouvait rivaliser avec la sérénissime
république et sa formidable puissance maritime. Pour cette raison,
elle ne fonda pas sa puissance commerciale que sur le commerce maritime.
Elle joua en effet sur sa position stratégique pour s'établir
comme une étape indispensable dans le commerce avec l'intérieur
des balkans (traités avec la Bosnie et la Serbie voisines). La prise
de Constantinople lors de la quatrième croisade (1204) allait affecter
Raguse par contrecoup car c'était son protecteur des débuts
qui disparaissait. La conséquence fut évidente pour Raguse,
qui dut reconnaître la domination de Venise dès 1205.
Prise de contrôle de Venise :
La domination de Venise durera jusqu'en 1358 mais lui permettra d'entrer
dans une nouvelle ère de son développement économique.
Raguse conservera une certaine autonomie mais toujours dans la limite des
règles dictées par Venise. Ces règles restreignaient
principalement le commerce maritime de Raguse au profit de celui de Venise.
La conséquence fut que Raguse tourna son activité vers l'intérieur
des Balkans. Elle profita alors du développement des mines de Serbie
et de Bosnie, et des hommes d'affaires ragusains se mirent à commercer
avec les Balkans. La conséquence de la nouvelle croissance économique
du XIII siècle fut que le noyau latin et les environs slaves de
la ville (Dubrava) fusionnèrent en une seule cité.
L'âge d'or de Raguse :
En 1358, Venise perdait la possession de Raguse et de la Dalmatie suite
à une guerre avec la Hongrie. Raguse reconnut la souveraineté
hongroise mais réussit à garder et même à développer
son indépendance et son autonomie à cette occasion. Libéré
des restrictions commerciales de Venise, indépendante dans ses choix
politiques, le commerce maritime repartit sur de nouvelles bases. Heureusement
car la situation politique dans les balkans commençait à
se dégrader depuis la mort de l'empereur serbe Etienne Dusan. De
plus, un autre danger pour le commerce de Raguse se profilait avec l'entrée
en europe des ottomans dès 1354. En 1409, Venise réussit
à acheter au roi de Naples des droits en Dalmatie. Venise cherchait
alors à prendre le contrôle du marché de la ville de
Drijeva
située près de l'embouchure de la rivière
Neretva
à
environ 100 km au Nord de Raguse. Cette région est très
intéressante car elle correspond à peu près à
l'aire d'origine des migrants slaves de Molise. L'histoire nous apprend
que Raguse considérait cette importante place commerciale comme
étant stratégique pour son commerce avec la bosnie. Elle
était en effet directement sur la route de la Bosnie (voir paragraphe
suivant). Raguse défendit sa position vis à vis du roi
de Bosnie et réussit à garder son influence à Drijeva.
Ce monopole sera encore contesté par Venise en 1417 au sujet de
l'exportation du sel qui passait par la ville de Drijeva.
Troubles et désordres
: l'annexion ottomane de la Bosnie-Herzégovine
La situation se dégradait dans les Balkans. Ainsi le voïvoide
bosniaque Sandalj n'hésita pas à faire appel aux turcs pour
imposer son pouvoir (1423).
Dès 1430, les ottomans avançaient en Bosnie et en Albanie.
Entre 1439 et 1444, toute la Serbie fut occupée par les ottomans
avant de retrouver pour un temps une certaine indépendance jusqu'en
1459. Cela désorganisa le commerce que Raguse entretenait avec la
Serbie (chute de la ville minière serbe Novo Brdo en 1441) et mit
en fuite de nombreux marchands ragusains. La situation était tellement
sérieuse que Raguse décida de mesures fiscales exceptionnelles
pour aider ses marchands en difficultés financières (voir
archive de Raguse du 6 Août 1454). Finalement, après de
longues négociations avec les ottomans, un traité signé
en 1442 autorisa les ragusains à commercer librement dans les régions
balkaniques occupées sous couvert du paiement de taxes et autres
privilèges.
Entre 1451 et 1454, une guerre opposa Raguse et le grand-duc Stephan
Vukcic-Kosaca. Ce dernier, vassal des ottomans, était très
ambitieux et souhaitait même conquérir Raguse pour le compte
du sultan. Il était originaire d'une grande famille de la noblesse
féodale de Bosnie-Herzégovine et s'était convertit
à l'islam lors de la conquête ottomane. Il deviendra même
le grand vizir Ahmed pacha Hercegzade. La conversion à l'islam était
la condition indispensable pour exercer des responsabilités dans
l'empire ottoman. Ainsi des conversions eurent lieu simplement pour conserver
ses privilèges ou comme moyen d'assurer ses propres ambitions...
La conquête de Raguse n'eut finalement pas lieu car les ottomans
considéraient qu'il y avait plus à gagner (financièrement
par les taxes) à laisser une certaine "indépendance" à
la cité de Raguse.
Le livre de B.Krekic
(Dubrovnik...1300-1600)
signale que les conquêtes lançées par les ottomans
dans les années 1450-1460 se traduisirent par des mouvements de
populations fuyant la guerre. Ces populations se dirigèrent en direction
de la république de Raguse en tel nombre que celle ci dut par décret
(1454) prendre la décision d'en controler l'accès. En Mars
1460, les désordres occasionnés par ces mouvements de populations
incitèrent Raguse à interdire le transport de personnes en
dehors du territoire de la république par voie maritime. Mais la
pression était telle qu'elle finit par autoriser et même organiser
des transports de réfugiés par bateaux en direction de l'Italie
(Venise, les Marches,...) en 1464, puis en 1465 et encore après...
Ce livre cite aussi une référence qui devrait être
interessante: La migrazione degli Slavi nell'Italia meridionale e in
Sicilia alla fine del Medievo "Archivio Storico Italiano, vol 2, 1980,7-9".
En 1459, la Serbie fut complètement occupée suite à
la chute de sa capitale Smederevo et la pression s'accentua sur Raguse.
En 1463, la Bosnie fut elle aussi soumise. Les ottomans se retournèrent
alors contre l'Herzégovine qu'ils occupèrent presqu'entièrement
en 1465.
Même Venise et les Hongrois entrèrent en conflit en 1465
en Herzégovine pour le contrôle de l'embouchure de la Neretva.
Cette région était stratégique avec la place commerciale
de Drijeva située près de l'embouchure, contrôlée
par la ville fortifiée de Pocitelj en amont de la rivière
Neretva. Raguse soutenait les hongrois qui s'installèrent dans le
fort de Pocitelj contre Venise, son ennemi de toujours. Mais la république
de Venise en profita pour contrôler le littoral de Makarska et la
région autour de la ville d'Imotski. La désorganisation
du camp chrétien était ainsi totale et le sultan Mehmed II
en profita pour étendre ses conquêtes en asie mineur (1468).
Signalons que malgré les accords signés avec les ottomans
et les tributs versés, des attaques répétées
de valaques d'Herzégovine (population "ottomanisée") se déroulaient
régulièrement contre le territoire de Raguse (1469).
Toutes les villes ou places fortes de l'arrière pays de Raguse
ou de la Neretva tombèrent aux mains des ottomans à partir
de 1465 (Uskopje, Trebinje,...) La ville fortifiée de Pocitelj
tomba finalement en 1471, ouvrant le marché de Drijeva sur
la Neretva et permettant le contrôle de la route vers la Bosnie.
En conséquence, mais c'était depuis longtemps le cas, le
commerce de Raguse se retrouvait dépendant de la bonne volonté
des ottomans.
La conquête de l'Herzégovine s'acheva en 1482 par la prise
de la ville de Novi (entrée des bouches de Kotor) aux dépends
du grand-duc Vlatko, l'un des fils héritiers de Vukcic-Kosaca.
L'établissement complet de l'administration ottomane devint
donc effectif dans les années 1470-1480 dans les territoires annexés
(Bosnie, Herzégovine) et Raguse se retrouva avec une frontière
commune avec l'empire ottoman.
Une nouvelle guerre se déclencha en 1499 entre l'empire ottoman
et la république de Venise, portant sur le commerce depuis la Neretva
jusqu'aux bouches de Kotor. Venise avait déjà cherché
en 1496 à contrôler en vain le marché du sel de la
Neretva. Pendant toute cette période, le commerce de Raguse connut
de fortes pertes, d'autant plus que Venise n'hésita pas à
destruire les salines de la Neretva lors de ses opérations militaires
ou à intercepter les navires marchands de Raguse. Les accords de
paix furent finalement signés en 1503 mettant un terme aux instabilités
régnant depuis plusieurs décennies dans la région.
L'année 1503 marque le début d'une nouvelle époque pour Raguse et de son commerce qui devait atteindre un développement sans précédent au cours du XVI siècle.